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Un artiste est quelqu'un qui a réussi à transformer
des défauts caractériels en qualités professionnelles

Serge Tisseron : « Le Net n'est pas un journal intime »

INTERVIEW - Face à une génération exhibitionniste, prête à diffuser sans retenue son intimité sur la Toile, le psychanalyste, auteur de Virtuel, mon amour, enseigne la pédagogie des réseaux sociaux aux lycéens.

LE FIGARO. - Comment expliquer l'impudeur qui domine les réseaux sociaux où les jeunes dévoilent jusqu'à leur adresse ?

Serge TISSERON - Seul devant son ordinateur, on oublie que sa parole lancée sur le Net s'adresse à tous. Je mène des expériences dans les lycées pour faire comprendre qu'un message sur le Net revient à crier devant une foule. Je demande aux jeunes d'imaginer comment présenter leur profil Internet. Certains élèves se décrivent comme «une attrayante blonde célibataire» ou encore «un ivrogne sauvage». À l'étape suivante, plutôt qu'une mise en ligne indolore, j'insiste pour qu'ils se promènent avec ces messages inscrits en énorme sur des pancartes, dans la cour de l'école. Ce qu'ils refusent en général, craignant le ridicule. L'Internet revient pourtant à écrire ça en grosses lettres. Sans savoir qui va lire.

N'y a-t-il pas une part d'exhibitionnisme liée à l'époque ?

Il est vrai que dans ce monde virtuel, tout est toujours extraordinaire, accompagné de points d'exclamation. C'est un univers d'excès. On rêve de s'y faire remarquer et beaucoup sont prêts à toutes les provocations pour attirer des chalands du Net, via Google. Ces masses de lecteurs, «friends» «followers» procurent le fantasme d'être potentiellement un leader, d'avoir une capacité de mobilisation.

Les dangers des réseaux sociaux sont pourtant connus.
Certains publics intègrent maintenant ces contraintes. Mais pour les collégiens, le blog ou le profil sert toujours à se confier. On se croit en sécurité, avec des amis, car ces réseaux répercutent les conversations, selon le principe que les amis de mes amis sont amenés à devenir mes amis. L'Internet est le monde de la rencontre rêvée. La réalité est parfois plus brutale.

Serge Tisseron est psychiatre, psychanalyste, docteur en psychologie, directeur de recherche à l'Université de Paris X-Nanterre.

Il a publié une trentaine d'ouvrages personnels et participé à une cinquantaine d’ouvrages collectifs. L’essentiel de son travail porte sur trois thèmes : les secrets de famille, les relations que nous établissons avec les images et nos rapports aux nouvelles technologies.

Sur les secrets de famille, Il a notamment découvert un secret dans la famille d'Hergé à partir de la seule étude des albums de Tintin, plusieurs années avant que la biographie de cet auteur ne soit connue et ce secret confirmé (Tintin chez le psychanalyste, 1985). Il a publié, depuis, Tintin et les secrets de famille, le premier ouvrage entièrement consacré à la honte (La Honte, psychanalyse d’un lien social), puis Secrets de famille, Mode d’emploi.

Sur les relations que nous établissons avec les images et les médias, il a interrogé successivement les relations que nous établissons avec la bande dessinée, la photographie (il a été à l'origine de la restauration et de l'exposition des photographies marocaines du psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault (Centre Pompidou, 1990), puis il a réalisé une exposition sur « Le flou en photographie » dans le cadre des Rencontres internationales de la photographie à Arles en 1999), le cinéma, la télévision et les écrans d’ordinateur.

Sur les relations que nous entretenons avec les objets, notamment ceux des nouvelles technologies, il a étudié leurs fonctions de mémoire et les secrets qui peuvent y être enfouis, ainsi que la manière dont les nouvelles technologies changent nos relations aux autres et à nous-mêmes.

Ses livres sont à ce jour traduits dans douze langues

Serge Tisseron a réalisé, de 1997 à 2000, une étude sur les effets individuels et collectifs des images violentes chez les enfants âgés de 11 à 13 ans, à la demande du Ministère de la Culture et du Ministère de la famille, avec la participation du Ministère de l’éducation nationale (Enfants sous influence, les écrans rendent-ils les jeunes violents ? Armand Colin, 2000).

Il est régulièrement consulté par les ministères sur ces questions

Enfin, Serge Tisseron est également scénariste et dessinateur. Il a présenté sa thèse de médecine en 1975 sous la forme d’une bande dessinée (Histoire de la psychiatrie en bandes dessinées, Ed. Savelli, 1978) et publié cinq albums à ce jour. Il est aussi l’auteur d’ouvrages illustrés destinés aux jeunes enfants