02:37:27

Un artiste est quelqu'un qui a réussi à transformer
des défauts caractériels en qualités professionnelles

Oliviero Toscani : « Celui qui ne choque pas n'est pas un artiste »

Mordant, à contre-courant, sûr de soi, Oliviero Toscani, photographe de renommée mondiale, a travaillé pour Chanel, Benetton, Fiorucci ou Prenatal, réalisant des campagnes photos chics mais chocs. Toujours prêt à mettre le doigt là où ça fait mal, cet artiste médiatique prétend montrer la réalité sous une lumière crue et authentique.

Etes-vous un artiste ou un homme qui essaie de vendre une marque ?

Un artiste bien sûr. Le marketing ne m'intéresse pas. Je ne suis pas là pour vendre quoi que ce soit. Je suis là pour réaliser l'image.

Qu'est-ce qui fait, selon vous, qu'une image est belle et réussie ?

Une photo doit surtout être juste et tomber pile au bon moment. Elle doit devenir un document historique, un objet qui témoigne de la condition humaine. Pour moi, c’est ça, le grand art. Les photographies qui se bornent à l'esthétique, à la forme et à la composition sont toujours médiocres. Il y a de belles images de guerre, mais la guerre est-elle belle à voir? Prenons les images du 11 septembre, elles sont belles et esthétiques. Mais, j’aimerais dépasser ce critère et prendre des photos justes.

Dans une interview pour le site allemand W&V, vous avez déclaré : « Les relations humaines sont anorexiques. » Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?

Nous vivons dans une situation d'anorexie sociale, politique, mentale, culturelle. Le meurtre de la jeune étudiante Erasmus à Pérouse en est un symptôme. Il s’agit d’une réaction à cette anorexie sociale qui s’installe. Il suffit, pour s'en rendre compte, de regarder la télévision pendant une demi-heure et de voir ces émissions délirantes que tout le monde regarde.

Attirer l'attention du public : est-ce important pour vous ?

C'est fondamental. Un artiste attirera toujours l'attention. Ce n'est pas un hasard si Picasso est rentré dans l'Histoire, comme tous les grands artistes. Celui qui ne choque pas n'est pas un artiste.

L'image d'Isabelle Caro, le modèle anorexique photographié pour la campagne publicitaire de la marque de vêtements ‘Nolita’, a choqué. Quel message vouliez-vous faire passer?

Mon métier est de faire des images. Si vous demandez à celui qui fait des chaussures : « Mais quelles chaussures vouliez-vous faire ? » Il vous répondra : « Je voulais faire des chaussures. Un point c'est tout ». Le problème de l'anorexie m'intéresse d’un point de vue social. Et j’ai choisi d’en faire un thème. Ce sont les arguments qui me guident pour ensuite faire des images. J'aurais pu prendre n'importe quelle mannequin. Ce ne sont pas les anorexiques qui manquent dans le monde.

Cette photo est-elle interdite en Italie, comme on le dit ?

Non, ce n'est pas vrai du tout. Il existe un Institut de veille publicitaire auquel appartient un groupe de publicitaires qui décident, au final, ce qui peut être publié ou non. Ces personnes ont décidé dans leur coin d'interdire cette publicité. Mais je n'appartiens ni à leur club, ni à leur clan, ni à leur corporation. Donc ils ne peuvent pas censurer mon travail. Ils peuvent refuser de publier mes images dans leurs médias, dans leurs journaux, mais pas partout. Cette photo, je peux l'utiliser sur des supports qui n'adhèrent pas à cette organisation privée. Une interdiction émane d'un juge et non pas d'un organe privé.

Qu'est-ce que la transgression ?

Dans l'art, la transgression est une obligation. La créativité doit transgresser des règles établies. La subversion appartient à l'art. Sans elle, je ne crois pas qu’on puisse parler d’art. Il faut bouleverser les valeurs et remettre les choses en question, constamment. Voilà la responsabilité de l'artiste. Qui ne transgresse pas, n'est pas un vrai artiste. Prenons le Caravage, il peignait des Madones, mais il ne croyait pas en Dieu. Il était sodomite et les modèles qu'il utilisait pour réaliser ces vierges étaient des prostituées ! Il ne suivait pas les règles éthiques de l'époque. L'art est la plus haute expression de la communication. Il doit promouvoir les idées nouvelles.

Est-ce important pour vous de travailler en Europe ?

Difficile à dire. Qu’est-ce que l'Europe ? Le Sicilien ou le Suédois ? L'Europe est composée de multiples facettes. J’y vois un espace extraordinairement intéressant, grâce à ses langues qui peuvent être une limite bien sûr mais aussi une grande richesse. Pour moi, il existe une très grande différence entre la France et l'Italie, par exemple. La France est un pays beaucoup plus avancé, complet, moins trouillard. L’organisation de l'Etat me semble plus rigoureuse. Comparés à l'Héxagone, nous, Italiens, sommes des amateurs.

Il parait que vous n'allez pas au cinéma et ne regardez pas la télévision pour ne pas être influencé par d’autres images. Est-ce vrai?

Oui, en effet. La télévision, même si on ne la regarde pas, on la voit quand même ! C'est comme la pollution de l’air. Même ceux qui ne conduisent pas sont concernés. J'essaie de me protéger le plus possible de ce bombardement continu d'images.

Qu'enseignez-vous aux jeunes qui participent à vos ateliers ?

L'éthique et l'esthétique. Comment développer son propre talent. La capacité d'analyse, de critique, la passion et la générosité. Ne pas aller vers ce consensus que tout le monde recherche désespérément. La culture et le succès se trouvent au-delà des concessions. Il faut essayer de faire ce à quoi on croit.

Si vous deviez représenter l'Europe, aujourd'hui, quel type d'image feriez-vous ?

La présidence autrichienne de l'Union européenne m’a justement demandé des photos en 2005 [L’Autriche présidait l’Union durant le premier semestre 2006]. J'ai fait une série d'images représentant des enfants nus sur un fond blanc. Ils étaient âgés de quatre mois à cinq ans. Ils étaient au nombre de vingt-cinq comme les pays membres à cette période. Mais finalement, la photo a été refusée par Bruxelles parce qu'ils ne portaient pas de couches. Comme si voir des enfants nus était un problème. Pour moi, dire cela revient à donner le pouvoir aux pédophiles. C’est scandaleux.

Pourquoi pensez-vous que la publicité existe ?

La publicité existe pour supporter des pouvoirs, et parce qu'il y a des hommes qui décident de la faire.

Pourquoi est-elle adulée ou détestée par certaines personnes ?

Je pense qu'elle est adorée quand on pense à la capacité d'expression de l'homme et du temps dans lequel il vit ! Et elle est détestée parce que, d'habitude, elle ne fait pas ça, elle n'est pas en phase avec notre époque, elle devient répétitive et médiocre. Oubliant sa possibilité culturelle et donc sociale

Voyez-vous une évolution dans la publicité (tant positive que négative) ?

Cela dépend de quel genre de publicité nous parlons ;)

Quel créateur aimez-vous le plus dans le monde de la publicité ?

On ne peut pas comparer les créateurs entre eux, chaque créateur est unique

Quand jugez-vous qu'une publicité soit « réussie » ?

Quand elle fait penser et (ré)agir et qu’elle est en phase avec l’époque où nous vivons.

Pensez-vous que la publicité dépasse les limites du tolérable quelques fois ?

Les limites de chacun sont bien différentes. C’est tolérable en fonction de la tolérance de chacun

Comment vos idées de génies vous venaient t-elles en tête ?

Je n'aime pas parler d'idées. Je pense que il faut être constamment avec les yeux ouverts et toujours en recherche, expérimentation créative (beaucoup trop peu à mon goût). Les idées sont les réalisations !

Pensez-vous que vous retravaillerez un jour pour une marque ?

Je travaille déjà pour des marques en Italie

Croyez-vous que la publicité est trop présente de nos jours ?

Quand elle est mal faite, oui. Elle est ennuyeuse.

Avez-vous un livre ou des musées à conseiller aux personnes voulant faire de la publicité ?

Je crois que je conseillerais d'étudier les quotidiens tous les jours. Plus qu'un livre.

Et enfin, la publicité est-elle toujours une charogne qui nous regarde ? ;)

Oui, et elle nous sourit !! :)

Oliviero Toscani (né en 1942 à Milan) est un photographe italien.

Il est mondialement connu pour avoir imaginé des campagnes publicitaires sur affiches particulièrement controversées pour le compte de l'entreprise textile italienne Benetton durant les années 1990.

La plupart des campagnes incriminées étaient institutionnelles et ne concernaient que la marque de vêtements. Elles étaient le plus souvent composées d'une photographie potentiellement choquante seulement accompagnée du logotype de Benetton, sans commentaire ni autre légende.

L'une des plus connues représente un homme mourant du SIDA allongé dans un lit d'hôpital et entouré de ses proches. D'autres abordent les thèmes du racisme, de la guerre, de la religion ou de la peine de mort.

Le photographe déclenche en 2005 une nouvelle controverse par le biais d'une campagne publicitaire pour le compte de la marque de vêtements masculins Ra-Re. Les photographies représentant des homosexuels qui s'embrassent ont suscité d'importantes réactions en Italie et des prises de position quant aux droits de la communauté.

En septembre 2007, il s'engage dans la lutte contre l'anorexie avec une nouvelle campagne publicitaire choc pour No-l-ita, marque italienne de vêtements, où l'on voit une jeune femme anorexique nue au corps squelettique.